pour l’ensemble de l’oeuvre, remis par Pierre Schaeffer
à sa famille le 17 Mai 1990
L’Empreinte
«Au bois, il y a un oiseau. Son chant vous arrête et vous fait rougir»
Arthur Rimbaud
En 1956 à 25 ans, Gérard Patris fondait à Paris rue Boulard, un atelier de Lithographie.
Dubuffet, Pignon, Manessier, Sonderborg, Arman, Hayter, Hartung, Matta et d’autres venaient y réaliser des Estampes.
Au milieu de ces machines à impressionner, à grainer, à guillocher, à griser, Patris poète et artisan infiniment méticuleux, fiche dans le réel des pierres, les rêveries des autres. Des journées entières passées dans des images en demi-teintes au fil des épreuves successives, des reports par décalque, encrage, mouillage, estompage, initient Patris à la matérialisation des espaces flous.
Par delà la suivi exacts morsures de l’acide endiguées dans le couloir étroit des lignes tracées sur la pierre matrice, à la craie grasse, au crayon, à la brosse… Patris s’empreinte à son tour dans ce lieu si brut et si raffiné a la fois, des marques d’un style d’être
et d’oeuvrer, modelant la nature-même de son écriture de cinéaste à venir. Elle aura le tranchant et l’élégance de la gravure en relief.
Thélème
Dans ces années là, Patris le lithographe avait comme meilleur ami, Luc Ferrari, le musicien.
En 1959, ce dernier l’entraîne dans les caves du Vatican, autrement dit, celles du studio d’Essai de la rue de l’Université, lieu repère de Pierre Schaeffer, se consacrant à l’époque à donner une nouvelle impulsion à la recherche fondamentale sur l’objet sonore et l’objet musical, mettant sur pied le GRM.
Du groupe de la recherche musicale au groupe de la recherche image, il n’y avait qu’un pas, Gérard Patris, René Laloux, Arman, Jacques Brissot… tous jeunes photographes, peintres et
cinéastes en mal de faire des images avec ce qui se passait dans leurs têtes, soutenus par leurs complices d’un temps-les Musiciens de la « Concrète » - dans leur désir d’interpréter à leur tour, eux aussi, la concrétude !... Se regroupent autour de l’expérimentateur gourou en question, celui-ci se faisant peu prier pour lancer le GRI à la suite du GRM dans la recherche des relations les plus étroites tissées entre le son l’image et le texte.
C’était l’Abbaye de Thélème ou le nouvel IDHEC, Eden ou Villa Médicis, rêve éveillé et pourquoi pas, Ben Hur. Bref, c’était complètement fou, utopique, génial et ingénu tout à la fois.
Mais à travers ce tout petit noyau de jeunes gens passionnés dédicataires d’un nouveau sort jeté par l’enchanteur Schaeffer, se profilait la naissance d’une aventure, baptisée un an plus tard : Le Service de la Recherche de l’ORTF, sur le crédo fétiche ?
je trouve d’abord, je cherche après?.
Avec des poudres et des balles, Patris se lançait alors des expériences d’animations d’images, particulièrement insolites, construisant des sortes de Tinguely miniaturisés, petits moteurs à
disposer sous des toiles tendues, façon tambour sur des châssis en bois afin d’y faire se déplacer au hasard des trépidations et des pressions régies par des lois physiques, jusque là encore inconnues, sous le gros oeil attendri de la camera-objectif bonnette quantité
de pigments de couleurs successivement sélectionnées, dans tous les petits pots rangées sur les étagères de l’Atelier de Lithographie Terre de sienne, bleu outremer,
bleu de Prusse,ocre,carmin…attendant depuis déjà trois ans leur libération arc-en-ciel et inconditionnelle, à moins que cela n’ait été celle de notre Lithographe, sorte de Sisyphe, jusque là attaché au grain de pierre.
Alors que le musicien lorsqu’il écoute de très prés, dissèque, réduit, accélère et réforme, plongeant ses ciseaux dans la magnétique entre l’attaque et la résonnance, multiplie les saisies d’un univers concret, stupéfiant, le cinéaste s’appliquant aux mêmes exercices ne fait, d’une certaine façon, que de s’éloigner du concret. Ce qu’il trouve est abstrait, et au-delà du jeu de l’esbroufe, des modes, très peu éloquent au bout du compte.
Très vite, Patris dépose les gris-gris de son nouveau jeu, tournant le dos à des essais de parallélisme entre l’écoute et la vision, faux problème contre lequel plus d’un s’était déjà cassé les dents, des formes aléatoires, il passe au fond immuable, inépuisable. Des
apparences, il passe à l’être…depuis le temps qu’il l’attendait.
L’âge d’or
Au Service de la Recherche, on improvise, rien n’existe, tout est possible. C’est l’âge d’or.
« Et puis une voix-est-elle angélique- Il s’agit de moi
Vertement s’explique….
A. Rimbaud.
C’est par un portrait du peintre Jean Dubuffet, Autoportrait Dubuffet, littéralement piégé, au cours d’une visite à son ancien ouvrier de «l’Art Brut», dans le studio du rez-de chaussée de la rue de l’Université que Patris, même si il ne prononce pas à voix audible les paroles sacro-saintes de « silence on tourne » (et pour cause, la caméra est dissimulée) fait son entrée dans la cour des grands, celle du Cinéma Documentaire qu’on appelait pas encore à
l’époque « de création », celle-ci sans doute allant d’elle-même.
Mais soudain, Dubuffet entre dans une colère monstre, empoignant par le tranchant de sa méchanceté volcanique proverbial, le collet du premier venu ; en l’occurrence, Patris, le secouant d’un déferlement de critique sur le manque d’esprit, d’invention et de génie, de ce nouveau support d’images : La télévision Française. Devant je ne sais combien de témoins, Patris est symboliquement roué de coups de mépris, essoré par les tonitruantes phrases de l’ogre. Mais si sous les insultes, il frémit imperceptiblement, c’est le plaisir, car il perçoit le point rouge d’une camera qui continue à tourner. Il sait qu’en enregistrant ce qui reste en général dans la marge du discours officiel, dans celle de toute affirmation d’esthète ou de moraliste public, à son tour, il met la main sur ce fameux «concret». Bien au-delà d’une sorte de pied de nez à la zéro de conduite, il saisit une vérité hors de ses gonds :
« la vie brute » elle aussi.
Dubuffet l’apprenant, surpris en amont, heureux pris qui croyait prendre, comme rasséréné par le tour pendable qu’on venait de lui faire, félicite Patris. «Ah bon, lui dit-il, tout n’est pas foutu dans ce royaume »
Sur la terrasse du vieil hôtel particulier qui en avait vu bien d’autres, exit Schaeffer et Dubuffet, le concret et le brut, parrains spirituels du jeune aboulé, chevalier de la cinématographie.
La camera est une personne, mais puisque maintenant même les bébés le sont, au dire des analystes favoris des medias…Patris préférait dire que c’était une encre. Avec quelle orthographe écrivait-il ce mot ? On ne le saura pas, puisqu’écrire pour lui, c’était d’abord filmer. Plaçant très tôt, dès cette époque étonnante du Service de la Recherche, qui le lui permettait, son point de vue au départ d’un sujet qui n’en n’était justement pas un, puisqu’il était avant le sujet, avant la scène, avant la représentation, avant la toile, le concert ou la guérison, avant tous partis pris de compte-rendu de l’action. Son attention fixée sur une cible invisible, l’ébauche, le mouvement d’un sens, le souffle de ce qui allait être. Il s’installait dans les terrains vagues de ce qui se trouve en gestation, dans des lieux d’accouchement, des lieux de résolutions, des lieux où s’offre et se partage quelque chose qui n’a pas encore de nom.
Rien ne peut mieux exprimer la quête de Patris Cinéaste que cette parole d’Henri Michaux
« entre cendre et absence »
Ainsi fut réalisé Antigone dans les bidonvilles intitulé Les Enfants Grecs. La situation, les personnages, le drame, la réalité s’incarnant dans le texte de Sophocle, comme un texte avant le texte.
Puis ce fut l’Ecole de Nice, sorte de happening des artistes se dénommant « nouveaux réalistes », déchainé par l’interrogation de la camera de Patris, forçant d’une pointe-sèche le groupe à prendre livraison de ses perspectives créatrices « détruire, disaient-ils. Savourant à eux-mêmes, pris la main dans le sac, et sur pièce maîtresse, leur conviction. Décidément l’époque était désespérément prospère.
Voir un piano flambé, cordes et marteaux explosant sous le soleil renforcé de projecteurs, tout ceci d’une façon on ne peut plus concrète, faisait grincer les dents, Monsieur le Directeur de
la Recherche. On s’en doute !
Mais n’avait-il pas lui-même mis le ver dans le fruit ?...Enfin, puisque Patris aimait toujours soulever des pierres rien que pour noter qu’il y avait bien là-dessous des vérités rampantes,
Monsieur le Directeur ravala les « couleuvres » Apres tout si cela ne servait pas d’exorcisme, cela constituerait une mémoire… une certaine mémoire.
La Maison de bout du monde fut la première incantation poétique de Patris par-deçà, là l’expression même des malades mentaux de la Clinique de la Chesnaie. La parole suscitée, travaillée, enregistrée ensemble devint une sorte d’essai de rédemption, de captifs, enchainés par une lucidité existentielle, posée jusqu’aux confins de la souffrance.
Non seulement Patris n’est ni voyeur, ni prédateur, mais regard et action conjugués, pourra-ton dire ici qu’il est le thérapeute par excellence ?
Entre les mains d’un enfant de coeur autodidacte, au geste de calligraphe, au regard bleu et fertile, la camera libérant la clef des funestes songes, devient miroir démiurge.
« Musique Musique ! »
Aux complices du tout début, Ferrari et Patris, Pierre Schaeffer offre de se lancer dans la composition d’une série Les Grandes Répétitions. Plongés dans la secrète cérémonie de ce qui se passe entre l’écriture et les instruments, le chef et les exécutants, poursuivant un rythme qui résiste, une harmonie qui se refuse, un sens qui s’échappe et qui se rend, par delà le déchiffrage des signes hiéroglyphiques, si modestes, si fidèles, par delà le travail de fond de ces artisanats ; Scherchen Varese, Messiaen, Stockhausen, Cecil Taylor, pliant la matière sonore, jusqu’à l’immatérialité la plus inouïe, Patris et Luc créent d’autres symphonies, dont petit à petit le montage délivrera la partition à haute voix.
C’est dans cette période âge d’or du Service de la Recherche, comme sans doute, celle du Documentaire produit et diffusé par l’ORTF, que Patris oeuvra avec le plus de bonheur et d’intuition. Passant quasi spontanément de la juste position des mains sur l’archet .
Autoportrait de Dubuffet-au trait du virtuose (les Enfants Grecs et la Maison du Bout du monde). Avec des ruses de naïf, ses entêtements de paysan, une cruauté qui ne servait là que d’appât, camouflant le profond intérêt qu’il portait aux autres, querellant les apparences du monde, il posait ses filets aux marques invisibles. Son équipe, stylo et âme à la fois, le suivait à demi-mot, là où Patris prenait le risque de l’entrainer.
1968.
Puis, il eut 68. Avec la trop grande candeur qui le caractérisait parfois, Patris, à l’écoute d’une parole collective, qui s’était soi-disant libérée de dessous les pavés, pêcha par utopie, sinon
par délicatesse. Il se lança dans l’improvisation d’une fiction dans
le contexte et l’esprit d’une cogestion artistique et technique à laquelle le mouvement de Mai avait pu faire rêver.
En Septembre 68, Jacques Pamart, Jacques Dumas, Jacques Higelin et les autres autour de Patris partaient sur je ne sais quelle île, afin d’en ramener le trésor. Un mois après, les marins de ce bateau ivre revenaient harassés, fortement déçus du voyage et pas du tout heureux. A peine à 120 mètres de pellicule en tout et pour tout et assez mal impressionnée de surcroît, furent projetés devant le Directeur dont l’oeil s’assombrit image par image, jusqu’à l’éclipse.
Tel Wottan, le Dieu Schaeffer punit de son impénétrable courroux le fils qu’il préférait sans doute, celui qui, comme dans la légende, avait trop tenu à se rapprocher des hommes de la base s’appliquait-on à dire à cette saison. C’était le temps de l’offense et de l’humiliation réciproque.
Notons au passage que pas un des compagnons du héros malchanceux de cet opéra-tragicomique, ne vola à son secours.
On les comprend.
Du jour en lendemain, comme dans les grandes maisons, Patris fût renvoyé et exécuté pour l’ensemble. Ah Mais !
En fait, si pour la génération d’avant, en quarante, il y avait eu la drôle de guerre, pour celle ci, en 68, on pouvait dire qu’il y avait eu qu’un drôle de drame. Drôle ou pas, 68 traça en certains, de profondes blessures incicatrisables.
Age d’Homme et montagnes Russes.
La série des Grandes Répétitions avait révélé à certains producteurs français et étrangers qu’en ce qui concernait les réalisations musicales, il fallait dorénavant compter avec ce jeune réalisateur dont le nom était un prénom. Patris, bougea, voyagea, abordant les grosses machineries des coproductions, il rentait dans la commande. Au bout l’efficacité dans le filigrane, toujours la même sensibilité. Mais les sujets brillants, s’ils ne sont pas un tant soit peu agressifs, sont vite exploités.
Ainsi, en 1969, si la Coréalisation avec François Reichenbach sur Rubinstein, l’Amour de la vie obtint à Hollywood, l’Oscar du meilleur long-métrage de reportage, le nom de Patris ne fut même pas mentionné au Palmarès.
Karajan tombant sous le charme de la douceur de Patris, l’impose comme Coréalisateur de Reichenbach sur Naissance d’un Opéra, Carmen la 9éme symphonie. Mais l’étreinte de Karajan devient quelque peu dévorant et Patris prend ses ailes à son cou.
En 1971, Bernard Chevry, Producteur de Midem Production, lui commande 2 films. L’un sur Rostropovitch, Un Homme de Russie, et un sur Issac Stern, Mon nom est Stern.
Dans le jeu des talents de Patris, le musicien semble gagner de plus en plus sur le peintre. Ce n’est qu’une illusion. En fait, Patris, de film en film, s’impose comme un merveilleux portraitiste.
Avec la commande d’un film sur Max Ernst : Histoires Naturelles, co-produit par l’UNESCO, il célèbre des retrouvailles avec le Service de la Recherche. Max le peintre devenait ici le modèle et dans l’échange du double regard bleu et pointu de deux chasseurs
quelque peu insolents, on ne savait plus bien lequel d’entre les deux, qui, du plus âgé ou du plus jeune était l’oiseau ou l’oiseleur. La confidence du prince du surréalisme chuchotée à Patris, citons-là :
« nageur aveugle, je me suis fait voyant - j’ai vu- et je me suis surpris amoureux de ce que je voyais ».
Pouvant tout aussi bien fournir la légende du peintre comme
celle du Cinéaste.
Tout de suite après, Patris retrouvant le terreau d’une liberté d’inspiration très spécifique du Service de la Recherche, proposait un tournage au sein d’une famille provinciale de treize enfants :
La Famille de mon frère.
Enfin, l’enfant cerné tel une énigme, celle de l’origine du roman de sa vie.
C’était un signe, un avertissement kabbalistique, sans doute, puisqu’au cours de la réalisation, c’est toute l’enfance de l’Art qui disparaissait avec le Service de la Recherche, englouti, lui et
son grand Berger, dans la liquidation des biens d’une ORTF éclatée.
A travers le suivi chronologique des oeuvres libres et des oeuvres de commandes circonscrivant empreintes, essais, témoignages, portraits, bref, toutes les facettes de la mise en scène du réel par un artiste, se lit non seulement le mûrissement d’un auteur, d’un écrivain d’image, d’un poète,, mais la chronique d’une institution, RTF, puis ORTF qui telle une grenade éclatée en 74, en quartiers plus ou moins verts, plus ou moins blets laissant le réalisateur sur le quai d’un service public, à la croisée de hasard et nécessité.
Les Iles Hybrides.
De 1975 à 1985, complètement tiraillé, l’ambition d’être et la pudeur d’agir, câblé entre l’ironie et la candeur, le tempérament et la sensibilité de Patris vont se frayer un étroit passage dans l’adaptation à ce qui s’appelle le nouveau paysage audiovisuel. Comme pour beaucoup d’autres réalisateurs de cette famille d’esprit là, il n’y a plus tellement de productions à arracher dans la marge des quelques bonnes volontés des programmateurs des sociétés issues de l’ORTF, fidèles à « un certain regard ».
Chacun son petit métier, son petit métier, chante Stravinsky dans l’histoire du Soldat, mais c’est le diable qui a la partition, pour ne pas dire le fric, cette fois ci.
On ne cherche plus d’idées, on cherche des sponsors, des astuces, des alibis, des compromis, pas forcement du sens et on évite le bon sens. L’indice d’écoute de son septième bureau à ciel ouvert vous salue bien.
Patris résiste à sa façon. En 1975, un peu de séries Inventaire, Adieu ma petite Leone, en 1976, un peu d’entretien avec Jean Guitton : Le Château et la Chaumière,
En 1978, la télévision Bavaroise lui commande un Schubert avec l’interprète Crista Ludwig, c’est vrai, tous les désenchantés romantiques savent que les chants les plus beaux, sont les plus désespérés et s’ils en doutaient, Schubert le leur confirmerait.
Mais quand même on peut dire que Patris n’est pas épargné par le mouvement peau de chagrin de la Production de création.
Le DPCR(cellule de recherche) à l’INA conserve encore une étroite marge d’initiative de programme appelé « Spécifique », dans laquelle peuvent s’inscrirent quelques commandes faites à Patris, essentiellement réalisées à bases d’archives : Mélodrame ce soir , Destin, thème démontrant l’exploitation par les medias du malheur individuel.
Le DPCR payera cher dans peu de temps le maintien de sa tradition de gardien de but de l’éthique télévisuelle. On lui coupera, verbe, sujet, et même le complément.
Rogers Stéphane commande encore trois heures à Patris, l’une sur le chef d’oeuvre de Grünewald, le retable d’Issenheim, représentation du sacrifice décrypté par regards et paroles d’enfants : Aux Enfants de Colmar et deux autres sous le titre, la Liberté de l’Esprit, essai concernant la prise de conscience de l’univers par les hommes de la Renaissances.
En 1982, Patris se voie confier un nouveau portrait de peintre, Joan Miro Musique Muette Sur la base des archives inédites de la Galerie Maeght.
Enfin, c’est par ce titre insolite : Juste une Image, série de Thierry Garrel dans laquelle Patris réalise la condensation en 52’ d’une journée entière de programme sur une chaine, qu’à demi pleine la page du curriculum s’achève, comme si quelque chose avait cédé, à bout de force, asphyxiée.
Car en fait, si l’on contemple ces dix années de réalisation télévisuelle de Patris, tout cela est brillant, astucieux, enjoué, nerveux, grave ou grinçant, mais on le sent, Patris s’applique à être le bon élève, qu’il avait toujours refusé d’être. Il passe et nous avec à coté de lui, sans plus se rencontrer. Il n’est plus à sa main, comme disaient nos grand- mères, celles de Nancy ou de Poitiers quand elles faisaient sauter les crêpes de la Chandeleur. Il cisèle ses systèmes jusqu’à ce que l’emballage, la forme du message deviennent en fait le fond. C’est bien la marge de liberté qui
est parfois laissée au Réalisateur en cette époque de
« mass and message »
"Un Soldat revient de guerre, a beaucoup beaucoup marché, fredonne le petit Violon", mais le Soldat est à la solde et si on
lui a laissé les paroles, on lui a quand même coupé la voix.
C’est pour cela qu’il est si fatigué.
L’Espace du Dedans
1985, trois ans, c’est l’espace symbolique et réel de toute dépression. L’unité de temps archétypique du deuil. Lentement, avec la ténacité d’un noyé, Patris reprenait son souffle créant un atelier de Production de Films vidéo, La Chesnaie Films, s’associant pour cela avec le Docteur Claude Jeangirard, Directeur de la Clinique de Chailles, où il avait réalisé vingt ans avant, La Maison du bout du Monde. Patris avait eu le courage d’investir un petit arpent du bon Dieu, un bien, comme on dit dans les campagnes, légué récemment par ses parents dans une entreprise délibérément potlatch, à but non lucratif, oh combien, au lieu de s’en constituer un abri plus domestique.
Grâce à cette dernière espiègle transgression au bon sens-très paysan lui aussi - Patris se remettait à faire des images avec ce qui se passait dans sa tête, en arrachant enfin des mains du diable, le petit Violon.
A travers la vision des trois premiers numéros de la série L’Anthropographe, que la Septième chaine diffusait récemment, ceux qui le connaissaient et l’aimaient, saisissaient très vite que Patris avait bien retrouvé la voix du Poète de sept ans qui trépignait d’impatience et d’insatisfaction en lui depuis dix ans.
Enfin remis à l’oeuvre, écrivant des silences, notant l’inexprimable, fixant des vertiges, peu à peu Patris reconstruisait sa propre recherche, s’approchant de la maîtrise de son temps antérieur Solitaire. Il s’était installé prés de Blois, à quelques kilomètres de la Chesnaie, en pleine campagne et mettait autant de soin à traiter une bouture d’arbres qu’une collure de films. « Moi qui me suis dit Mage ou Ange dispensé de toute morale, je suis rendu au sol avec
un devoir à chercher et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan ! » Arthur Rimbaud.
Paysan dans ses racines, sans doute, poète dans son Art, sûrement.
C’est ce qui s’affirme avec éclat dans Solitudes, que l’on reçoit à notre tour comme un autoportrait, un testament, dans lequel Patris offre tout l’or de soi…Epreuve et Exorcisme.
Née de la rencontre entre un Réalisateur et un Anthropologue, la série l’Anthropographe, entendait traiter de la part nocturne, voir occulte, des existences quotidiennes.
A Solitudes, succédaient Médiums, Dialogue Secret, Arté Maga,
le Petit chat est mort, Cancer, La Saison du Brâme….
C’est Rimbaud encore qui parle ici à la place de Patris, relayant l’Absent « mon caractère s’aigrissant, je disais adieu au monde dans des espèces de romances », mais ce talent de conteur aigre-doux, bourru parfois qu’avait Patris, ce goût qu’il avait d’inventer des histoires qui n’en n’étaient pas et de jeter des charmes, lui faisait oublier peut-être qu’il dépassait ses propres limites physiques. Faisant l’impasse sur ses menaces personnelles
et préférant nous avertir des nôtres, tels les mazzeri, de son Arté Maga, « vous savez, ceux qui voient ce que les autres ne voient pas ».
Pour ceux qui l’avaient découvert à temps, séduits déroutés, piqués au vif par sa façon d’être et de ne pas être tout à la fois, l’Empreinte indicible de ce style, traversant toute son oeuvre,demeure en nous celle d’un cristal qui songe.
A Eve.
Marie-Claire Schaeffer
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